Voici la Rochelaise la plus photographiée par les milliers de visiteurs qui découvrent la ville chaque année. Cette grande dame, dont l’air un peu penché semble marquer un recul prudent face aux assauts de la mer, a consacré sa vie à garder l’entrée du Vieux port de la cité atlantique. Classée Monument historique en 1879, elle occupe désormais son temps libre à l’accueil des curieux, qui profitent de ses hauteurs de vue pour comprendre la ville et ses alentours. Si aucune des évolutions du port n’échappe à son regard, elle n’est pas la dernière à contribuer à son animation. Rencontre avec une figure emblématique.

 

TDE : Comment a débuté votre histoire avec La Rochelle ?
La tour Saint-Nicolas : D’aussi loin que je m’en souvienne, il fallait un ouvrage conséquent pour défendre l’entrée de la passe du nouveau port en développement. Je vous parle de ça, nous étions au XIVème siècle ! À l’époque, on m’avait choisi pour emplacement une zone de marais légèrement à l’écart de la ville. Ma construction n’a d’ailleurs pas été sans mal, puisque les fondations n’ont pas tardé à s’enfoncer dans ce sol meuble, ce qui fait dire à certains que je penche ! C’est peut-être vrai, ceci dit. Bref, j’ai ensuite accueilli pendant plusieurs siècles quelques générations de soldats, de gardiens et même quelques prisonniers. J’intervenais assez peu sur le déroulement de l’histoire. On m’a juste sollicité à quelques reprises, en ma qualité de corps défendant, pour empêcher l’accès au havre. Quand ma fonction défensive s’est faite moins essentielle, à la fin du XIXème, j’ai commencé à m’intéresser à la culture et au patrimoine, et vice-versa. J’ai été classée, restaurée et maintenant, je m’applique à raconter ce que je sais de la ville, depuis mon estimable position.

TDE : Quel est votre plus beau souvenir ?
Ouhla ! Il y en aurait beaucoup. J’ai plus de six cents ans, j’en ai vu passer des événements, heureux et malheureux. Je pourrais parler des frégates qui partaient pour la Nouvelle-France aux XVIIème et XVIIIème siècles, c’était toujours très émouvant, avec un mélange de peurs et d’espoirs. Ou de la flotte de bateaux de pêche au début du XXème, c’était une belle époque, populaire, colorée. Mais j’apprécie tout autant le moment présent, les étés sont animés, il y a les Francofolies, les feux d’artifice, des champions de plongeon qui sautent depuis mes remparts, ça change le regard que l’on porte sur moi.

TDE : Quel est votre moment de la journée préféré ?
Je guette encore chaque soir le coucher de soleil avec un peu d’impatience. Je suis particulièrement bien placée pour savourer ces instants toujours éblouissants. Il y a un autre moment rare que j’apprécie beaucoup, ce sont certains matins de brume épaisse. Je disparais alors complètement de la vue des Rochelais. Je suis invisible, évanouie. C’est un moment de sérénité totale, même si je sens les habitants un peu perdus de ne plus me voir dans le paysage.

TDE : Quelles doivent être les qualités essentielles d’un monument historique ?
Je pense tout d’abord qu’il faut avoir des choses à raconter, donc évidemment, avoir un peu vécu, présenter quelques attraits historiques ; ou alors, il faut livrer un témoignage original sur sa conception, sur les hommes, les femmes, les sociétés qui vous ont fait naître, et donc présenter aussi un intérêt architectural ou artistique. On peut d’ailleurs me voir au musée d’Orsay, peinte par Signac, entre autres.

TDE : Qu’aimeriez-vous dire à quelqu’un qui hésite à vous visiter ?
Il ne faut pas se laisser intimider parce que je suis un monument « historique ». J’offre un des plus beaux points de vue sur la vieille ville, mais aussi sur les nouveaux quartiers de la Ville-en-bois, de l’Université et des Minimes, ainsi que sur les îles du pertuis breton. Je suis donc également un monument « géographique ». Mais on n’est pas tenu d’être féru d’histoire, d’aimer les vieilles pierres ou l’urbanisme pour venir. On peut juste se laisser porter par l’ambiance et la porte ouverte sur l’imaginaire d’un lieu atypique, avec mes salles biscornues, mes sols inclinés, mes escaliers labyrinthiques. Tout est si fonctionnel de vos jours ! Il faut s’imaginer les vies qui se sont succédé entre mes murs, les regards vers le lointain, les espoirs, les envies de voyage. On peut aussi s’amuser de la petite agitation de la ville à mes pieds. Chacun me visite comme il l’entend !

Merci, chère tour Saint-Nicolas !

Tour Saint-Nicolas (et les autres tours), sur le Vieux-Port de La Rochelle : tarifs, horaires, accès… sur www.tours-la-rochelle.fr/
Ce portrait imaginaire a été réalisé avec la collaboration du Centre des Monuments Nationaux de La Rochelle, www.monuments-nationaux.fr/