Martin Luminet a connu la version confinée du Chantier des Francofolies, qui a décidé de prolonger cette année l’accompagnement professionnel des artistes sélectionnés l’an dernier. Martin revient pour Territoire d’émotions sur ce moment artistique bousculé, durant lequel il a réalisé les derniers arrangements de son nouvel E.P.

 

Bonjour Martin, comment a débuté votre histoire avec le Chantier des Francofolies ? qu’apporte le Chantier dans le travail d’un artiste ?

L’histoire avec le Chantier des Francos commence un peu comme une rencontre de film. La plupart du temps ils envoient quelqu’un qui vient secrètement assister à l’un de nos concerts. On ne sait ni quand, ni qui, est venu, mais quelques semaines plus tard on reçoit un coup de téléphone pour nous dire qu’on fait partie des heureux élus. C’est très élégant comme approche. Et cette élégance est palpable dans le travail avec eux. Ils ne nous ont pas lâchés une seconde, d’autant plus dans cette année très critique, ils ont été hyper-vigilants à ce que personne ne perde pied ni espoir, c’était impressionnant de voir leur foi se déployer autour de nous, on s’est senti comme une promo à part.

C’est un vrai accompagnement de fond, authentique, il n’y a pas de faux semblant dans ce programme, tout est basé sur ce que l’on a au fond de nous, qu’ils décèlent parfois même avant que nous nous en rendions compte. C’est un vrai pacte de confiance, un suivi dans tout ce que traverse un artiste en développement : l’adrénaline, les doutes, l’effervescence, la recherche de soi. Je suis heureux de monter sur la scène des Francofolies deux années de suite. On a fait cette traversée ensemble, donc j’ai hâte de venger l’année 2020 à leurs côtés : 2021 va être un rendez-vous intense.

Comment s’est déroulée pour vous l’année que nous venons de traverser ? Avez-vous pu faire de la scène ? Comment avez-vous pu garder le contact avec votre public ?

Paradoxalement ça a été une année freinée mais pas inerte. On est à l’arrêt, certes, mais on n’est pas éteint. Je prends cette année de plein fouet mais cela nourrit aussi ma sensibilité et mon regard sur les choses, on a été arrêté un an mais ça vaut trois ans de réflexion, de rapport sur soi, de centrage, de cogite sur le monde qui nous entoure. On vit quelque chose d’historique. Sous nos yeux le monde s’est arrêté, c’est un spectacle tragique mais ça fait partie de nous dorénavant, comme le 11 septembre, comme le Bataclan, il faut en faire quelque chose et quelque chose qui nous rassemble : transformer la souffrance en force, c’est ce que les humains ont toujours fait.

Pour ma part j’ai crée une série de portraits vidéo intitulée « Hardcoeur » qui m’a amené à la rencontre de personnes à fleur d’époque qui parlaient intimement de sujets tels que l’amour, la colère, la génération, le couple, le sexe. L’idée était de dresser leur portrait intime, celui qu’on ne montre pas spontanément mais qui est le plus essentiel car c’est ce qui nous unit tous. L’universel c’est l’intime, aussi paradoxal que ça puisse paraître. Ces vidéos ont été et continuent d’être un rendez-vous avec les personnes qui sont sensibles à mes chansons, on se parle dans une autre langue et c’est tout aussi doux.

 

Comment envisagez-vous les semaines et mois à venir ? pour vous, et plus globalement pour le milieu artistique et culturel ? avez-vous un peu de visibilité sur une tournée, des concerts ?

À défaut de visibilité j’ai un cap que je ne lâche pas, qui s’adapte aux différentes secousses imposées par cette traversée. Je continue d’écrire sur ce qui me brûle les tripes et en ce moment il y a de la matière. On est loin d’être en pause au fond. Ce que j’envisage et espère pour le milieu artistique, c’est de se repositionner comme un pot commun à émotions de la société, que l’on sorte un petit peu du superficiel pour se pencher sur la profondeur des choses et des humains. On se rend compte que l’on ne peut pas vivre sans émotion, l’art est véritablement un organe vital de la société. J’espère que l’on se retrouvera aux beaux jours avec des concerts car comme dirait ma grand-mère : « le printemps ça fait pas qu’ouvrir les fleurs, ça nous épanouit tous ».

 

Vous avez récemment multiplié les collaborations et les reprises, avec Laura Cahen par exemple. Comment ces collaborations se font-elles ? Comment enrichissent-elles votre propre travail artistique ?

En sortant du premier confinement j’ai eu envie de retrouver ce qui m’avait le plus manqué : les êtres humains. J’ai pris ma caméra et j’ai eu envie de filmer des émotions qui n’étaient pas les miennes, j’ai monté le projet Hardcoeur qui m’a amené sur beaucoup de rencontres ascensionnelles. La deuxième chose qui m’avait manqué éperdument c’était la scène, alors plutôt que d’attendre que les salles rouvrent j’ai convié Laura Cahen, Clou, Melba… à venir partager une chanson pour en faire des petits films. C’était un prétexte pour se retrouver après cette longue épreuve de solitude.

Je suis fasciné par les sports d’équipe, ça m’émeut depuis tout petit donc j’ai cette envie de faire de la musique en équipe aussi. Je suis une éponge à émotions, donc je me nourris beaucoup des choses et des personnes autour de moi. Partager une chanson avec ces personnes m’a rapproché de mon centre de gravité émotionnel. J’ai tendance à croire que le chemin vers soi se fait rarement sans les autres.

 

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre prochain E.P. ? Sa production, les titres que l’on va y trouver ?

C’est un disque que j’ai commencé d’écrire avant la crise et que j’ai terminé pendant. Il porte en lui ce basculement. Je n’écris pas sur cette période, j’écris sur ce que cette période fait de moi et étrangement je ne me sens pas changé, ça a affirmé plus de choses que ça en a transformées. Néanmoins c’est un EP qui n’aurait pas existé de la même manière sans cette traversée. Le temps s’est arrêté, on a senti ce monde frôler la crise cardiaque, ça va nous marquer à vie, mon disque porte cela en lui. J’étais déjà fasciné par les questions de couple, d’amour, de colère, de désir, de prise de pouvoir sur sa propre vie, toutes ces choses qui constituent le « monstre » que l’on cache au fond de nous, de peur d’effrayer la société. Mais cette période n’a fait que révéler ce que l’on retenait en nous. Comme si, face au danger, notre instinct réapparaissait : ceux qui ne s’en servent jamais sont tombés de haut, mais ceux qui l’entretiennent en sont sortis grandis. Mon disque dit tout cela… que ce qui traverse les crises, les peines, les joies, le temps, ce sont les émotions et la sincérité qu’on y met. Je suis assez fasciné par ces choses éternelles.

 

Merci Martin, bon Chantier et à très bientôt aux Francofolies de La Rochelle !

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 Crédits photos : Fabrice Buffart ©