Adrien Charmot réalise des documentaires de création. Artiste en résidence depuis trois ans auprès du Festival La Rochelle Cinéma, il nous raconte son travail et comment il a vécu l’annulation de l’événement. Adrien Charmot, 37 ans, est documentariste. Formé il y a une quinzaine d’années à l’école du cinéma documentaire d’Angoulême, le Créadoc, il réalise depuis un travail de création, remarqué dans de nombreux festivals. Associé au FEMA de La Rochelle pour trois années de résidence, il a été contraint, au même titre que tous les autres événements programmés, d’annuler sa dernière participation cette année. Il est revenu, pour Territoire d’émotions, sur ce moment un peu flottant où les perspectives se brouillent pour les créateurs.

Adrien, pouvez-vous nous présenter le travail que vous meniez avec le Festival La Rochelle Cinéma depuis trois ans ?

Le FEMA développe beaucoup d’actions à l’année, bien au-delà du temps du festival lui-même. Il y a notamment des actions en lien avec le cinéma avec des étudiants, des établissements scolaires, des établissements hospitaliers, ou pénitentiaires. Pour ma part, j’anime des ateliers de création documentaire auprès d’habitants de certains quartiers de La Rochelle. La première année, j’ai travaillé sur le thème de l’amour avec des habitants de Mireuil ; l’an dernier, c’était un travail entre des marins philippins en escale au port de commerce de La Pallice et des lycéens du Lycée maritime aquacole de Port-Neuf ; et cette année, le projet était parti de rencontres et de témoignages de femmes de ces mêmes quartiers. Nous avions juste terminé les prises d’image et de son quand le confinement a commencé.

Comment se sont déroulés les ateliers ?

Chaque atelier est différent. Je pars avant tout de ce que la rencontre avec les habitants me renvoie : leurs histoires, leurs objets… Ensuite, mon travail consiste à les impliquer dans la réalisation du projet lui-même : c’est avec eux – et c’est même essentiellement eux – qui prennent les images, enregistrent le son, retranscrivent les dialogues, etc. C’est à chaque fois un temps de rencontre, de découverte mutuelle, d’écoute : faire raconter l’histoire de certains objets, les récits de vie de marins en escale, le rapport au corps etc. Chacun est invité à prendre une part dans les différentes étapes de la réalisation.

Y a-t-il un souvenir, une émotion que vous retenez plus particulièrement ?

Évidemment, le dernier atelier mené avec les femmes de Port-Neuf et Mireuil est encore bien présent dans ma mémoire. J’ai donc encore le souvenir de belles rencontres, teinté du regret d’un arrêt trop brusque lié au confinement. J’ai rencontré ces femmes lors d’ateliers de danse qu’elles suivent dans le quartier, des femmes seules assez souvent, et notre rencontre nous a amené à envisager des questions liées au rapport au corps, à la féminité, à la maternité, à l’estime de soi… Cinq femmes ont témoigné et leur témoignage a été retranscrit puis lu par d’autres femmes. Elles se sont également filmées, tout le monde a fait le son et l’image. C’était des rencontres très intenses. Par chance, tout ce matériel a pu être collecté avant le confinement mais il manque l’étape importante du montage et, bien évidemment de la projection lors de festival du film de La Rochelle, qui donne son sens à tout le projet. C’est un regret, mais nous n’avons pas pu faire autrement.

Quelles répercussions la crise sanitaire aura-t-elle pour vous ?

Pour moi, comme pour les autres acteurs du secteur, nous allons perdre un an. Je réalise des documentaires d’auteur, qui demandent des repérages afin de boucler des dossiers d’aides, auprès par exemple du Centre national du cinéma, ou de certaines régions. L’économie culturelle fonctionne sur ce principe du financement à partir de projet, les films ne pourraient pas se réaliser autrement. J’ai par exemple un projet personnel qui nécessite des déplacements dans la Nièvre. Là, pas de repérage possible à cause du confinement et de l’interdiction de déplacements longs. Donc, pas de bouclage de dossier possible. Et ça se répercute ensuite sur les premiers contacts pris pour la diffusion des films, auprès des festivals notamment, qui n’ont pas plus de visibilité à court, moyen et long terme. Même la réouverture partielle, en « mode confiné », pose des questions : les salles ont elles aussi un modèle économique, et je ne suis pas sûr qu’ouvrir avec un quart des fauteuils suffise à le maintenir à flot. Dans ce contexte, le maintien et le report des droits à l’intermittence est essentiel.

Comment percevez-vous ce moment particulier ?

D’un point de vue créatif, je n’ai pas vécu ce confinement comme un moment « introspectif ». Au contraire. Mon travail d’auteur repose sur la rencontre, sur le lien avec les gens. Le confinement nous a tous enfermé. Concrètement, je n’ai pas filmé.

Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui souhaiterait débuter aujourd’hui dans le cinéma documentaire ?

Que ce n’est pas le moment ! Plus sérieusement, je pense que si on veut faire du cinéma, que ce soit de la fiction ou du documentaire, il faut absolument voir, voir et voir des films, tout types de films, au cinéma, dans les festivals, chez soi… et il faut par là se former à l’image, au montage, au son, etc. Ensuite, une « vraie » formation, comme le Créadoc par exemple, va consolider cette culture cinématographique. Il en existe d’autres. Avec d’autres documentaristes et l’association Ty films, nous sommes d’ailleurs en train de créer Skol doc, une formation à Mellionnec, en Bretagne. C’est essentiel de prendre une caméra, d’étoffer ses relations, sa connaissance du milieu et d’en comprendre les enjeux.

Merci Adrien, bon courage, et à très bientôt sur les écrans des festivals !

Adrien Charmot devait présenter cet été le troisième volet de sa résidence d’auteur auprès du festival La Rochelle Cinéma. Retrouvez la présentation de ses précédents films ainsi que les actions à l’année du festival, en suivant ce lien.

Retrouvez également l’article sur le festival la Rochelle Cinéma (le FEMA), qui devait avoir lieu jusqu’au 5 juillet 2020 avant que la situation sanitaire n’en décide autrement.