David Fourrier est le directeur et directeur artistique de La Sirène, la salle de musiques actuelles de La Rochelle. Dans un contexte évidemment bouleversé pour les salles de concerts et le milieu musical, David est revenu pour Territoires d’émotions sur ce moment très particulier.

Cet entretien avec David Fourrier s’est déroulé le 26 octobre, quelques jours avant l’annonce du second confinement, et donc la fermeture, à nouveau, des établissements culturels comme La Sirène.

David, comment avez-vous vécu ces mois de silence forcé ?

Parler de silence forcé est assez juste ! Nos pratiques sont en effet génératrices de bruits, enfin plus précisément de musiques ! La période de confinement a été brutale et surtout assourdissante ! La Sirène a été fermée du jour au lendemain pour une période que nous imaginions alors de courte durée, suffisamment efficace pour éradiquer totalement ou presque ce virus.

Comment s’est organisée la reprise d’activités à La Sirène ?

La sortie du premier confinement a été graduelle, marquée d’abord par le retour au travail, et dans le lieu, de la majeure partie de l’équipe permanente après plusieurs semaines d’activité partielle. Ensuite, nous avons organisé la reprise, courant mai, des résidences professionnelles, celle en particulier de Thomas de Pourquery et son groupe Supersonic, artiste associé conjointement à La Coursive – Scène Nationale et à La Sirène. Pour nous, ça a été un retour formidable, avec le plaisir essentiel d’entendre et de voir des musiciens en « live » sur un plateau. Puis, courant juin, nous avons rouvert les studios de répétition et redonné vie au quotidien et en musique à la structure. Cette reprise s’est traduite également par une quantité invraisemblable de questions d’ordre varié, qu’elles soient sanitaires, qu’elles dépendent des ressources humaines, de l’artistique, du rapport contractuel aux artistes aux intermittents, ou qu’elles déclenchent des interrogations philosophiques, éthiques et sociétales.

Comment s’est organisée l’activité de La Sirène durant le confinement ?

L’équipe de La Sirène a bénéficié des dispositifs de droit commun, liés à l’activité partielle, l’exonération de certaines charges, les fonds d’aides, etc. Elle a surtout été tout à fait confortée et soutenue dans ses missions par ses partenaires publics. Le maintien des subventions, les messages d’encouragements de nos tutelles et de nos partenaires privés, la solidarité du secteur ont été des signaux très encourageants ! Il en a été de même avec les artistes qui fréquentent La Sirène, nous avons ressenti un élan de solidarité.

Dans quelles conditions s’est déroulé le retour du public ? qu’aviez-vous le droit de faire ou de ne pas faire ?

L’ensemble des services s’est réellement relancé en septembre. La répétition, les résidences, les ateliers, les concerts… La Sirène « tourne » mais avec les contraintes sanitaires du moment. Nous distribuons du gel hydroalcoolique, organisons les entrées et les sorties du public d’une manière distincte, désinfectons les espaces, accueillons le public masqué et pour la partie concert nous instaurons le placement assis distancié selon le protocole à respecter. Au niveau des salariés, nous avons télé-travaillé dans un premier temps, organisé les bureaux pour respecter les gestes barrières, sensibilisé nos partenaires et prestataires.

Le public est-il au rendez-vous ? comment avez-vous perçu cette réouverture, côté public ?

Depuis la réouverture des concerts, nous sentons une bienveillance très particulière du public vis à vis des musiciens. Il y a de l’attention dans l’air et des sourires derrière les masques. Pour certains spectateurs comme pour l’équipe, il y a eu une sensation de manque, un manque physique. Ce besoin d’être immergé dans le son, de ressentir cette enveloppe charnelle, cette vibration particulière du « live »… Ce plaisir arrive à gommer un temps nos masques si désagréables à porter, nous fait presque oublier que nous sommes assis même si les fourmis nous gagnent les jambes régulièrement !

Quelles conséquences cela a-t-il sur la programmation artistique et sur votre pratique de directeur artistique ? est-ce que vous demandez aux artistes de se produire sous une forme différente ? est-ce que ce sont eux qui le propose ? quid des artistes étrangers ? quelle visibilité avez-vous ?

La première conséquence concerne la ligne artistique. Impossible d’inviter certaines esthétiques qui ne peuvent s’envisager en version assise. Je pense notamment à la musique urbaine, au rap à la techno, l’électro. Ces musiques nécessitent la station debout et les artistes comme le public ne peuvent pas envisager d’alternative. J’ai donc conçu une programmation qui peut s’apprécier en version assise. Pour certains nous avons également adapté une scénographie d’accueil singulière, invitant les groupes à se produire sous notre lustre dans une version à quasi 360 degrés. Jean-Louis Murat a été le premier à tester avec succès cette formule. Pour l’électro de Molécule, c’est là encore une version originale qui sera présentée. Son show Acousmatic 360° met en oeuvre un système son composé de 12 enceintes installées en cercle. Le public avec le dj, se trouve alors immergé au milieu du son et la station assise ne nuit pas à la perception physique ressentie. Ces formules sont réfléchies toujours en concertation avec les équipes artistiques et techniques. Au niveau des artistes étrangers, nous avons quelques invités résidents en Europe (le suédois Bror Gunar Jannsson, ou Thurston Moore, fondateur de Sonic Youth, un américain vivant à Londres). Cependant la crise sanitaire ferme un bon nombre de frontières. Le couvre-feu nous contraint encore un peu plus, y compris avec les groupes hexagonaux. Zone rouge, zone verte, couvre-feu… cette disparité territoriale rend les choses très fragiles… Nous avons de la sorte un manque crucial de perspectives fiables et de visibilité…

Selon vous, comment doit s’organiser le soutien de toute la filière musiques actuelles ?

La vraie difficulté est cette absence de perspective. Nous fonctionnons à vue depuis huit mois. Nous prévoyons des programmations, calons des dates, commercialisons des concerts et annulons tout devant les nouvelles mesures sanitaires. Ces incertitudes sont éprouvantes pour les équipes, pour le climat anxiogène qu’elles génèrent. Cependant nous sommes aussi tout à fait conscient de la difficulté du moment, des interrogations particulières nées avec ce virus. Le gouvernement prend, je crois aujourd’hui, la mesure de la situation en mettant en place des dispositifs d’aides à la filière. C’est remarquable et je dois bien avouer que nos ami.e.s anglais, espagnols, italiens ne bénéficient pas des mêmes moyens financiers déployés. Cependant et dans un même temps nous pouvons déplorer être relativement peu ou pas consultés. L’annonce du couvre-feu pour les trois quarts du pays vient ainsi fracasser l’appel du Ministère de La Culture qui nous invite depuis cet été à défendre dans nos lieux des programmations et une reprise active de nos activités publiques. La proposition de Roselyne Bachelot, permettant aux spectateurs détenteurs d’un ticket de spectacle, de concert, de cinéma lui offrant la possibilité de dépasser l’heure du couvre-feu était formidable. C’était un signe fort pour inviter le public à fréquenter à nouveau nos lieux « qui ne sont pas des clusters » et une belle manière de dire que au delà du « Métro, Boulot, Dodo » nous avions toutes et tous besoin de culture… pour passer ce cap si délicat moralement et ce sentiment d’une société qui nous invite à ne plus penser, ne plus réfléchir, ne plus faire la fête… mais uniquement travailler, produire et consommer.

Merci David, et bon courage à La Sirène et ses équipes pour surmonter ce silence forcé !

La Sirène, comme tous les établissements culturels recevant du public, est fermée depuis le 30 octobre.
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Crédit Photo : Marie Monteiro