Baudet du Poitou, Mule poitevine et Trait poitevin n’ont pas de secret pour lui. Thierry Faivre, 62 ans, est le président de l’Association nationale des races mulassières du Poitou, qui défend, préserve et promeut ces équidés locaux. Rencontre avec un passionné.

 

Tout d’abord, Thierry, pouvez-vous vous présenter ?
Je suis exploitant agricole en Vendée, entre Luçon et Fontenay-le-Comte. Une partie de mon exploitation est consacrée aux céréales et une autre, en prairie, à l’élevage, et notamment à l’élevage de chevaux et de mules poitevines.

D’où vous vient cette passion pour les races poitevines ?
Je suis né dedans ! Mon père, et avant lui mon grand-père possédaient des chevaux, avec lesquels ils travaillaient, tout simplement. C’était avant le développement du tracteur dans les années 70. Mais même après la mécanisation, mon père a toujours veillé à conserver ses chevaux et à mettre en valeur ces races locales. Il a participé aux premiers concours en 1965, j’avais six ans à peine ! Donc, j’ai toujours vécu au milieu des chevaux, des Traits poitevins et autres… c’est une histoire familiale.

Qu’est-ce qui fait la spécificité de ces races mulassières ?
La Vendée et le Poitou constitue ce que l’on appelle un « berceau de race », où l’on trouve des Baudets du Poitou, des Traits poitevins et des Mules poitevines. Le berceau des Baudets est plus particulièrement centré sur Melle, les Traits et Mules plutôt sur le sud de la Vendée et le nord de la Charente-Maritime. Le développement de ces races a à voir avec l’assèchement des marais par les Hollandais à la fin du XVIe siècle, début du XVIIe. À la demande de Sully, des ingénieurs hollandais, dirigés par Humphrey Bradley, sont venus effectuer les travaux d’asséchement du marais poitevin. Les chevaux amenés pour cette tâche ont progressivement été croisés avec des races autochtones et ont donné naissance à ces chevaux de trait caractéristiques, aux pattes larges facilitant leurs mouvements dans des sols meubles, avec un crin épais protégeant des insectes, bref adaptés au travail dans des milieux humides comme celui des marais. Le « stud-book », c’est-à-dire le registre généalogique recensant les animaux relevant d’une espèce, a été créé en 1884 pour le Trait poitevin et a donc fixé les critères de cette race, que notre association s’attache à préserver.

Eros du Genet

 

Quelle est l’histoire de votre association ? Depuis quand existe-t-elle ?

Avant que les éleveurs ne se regroupent en association, on trouvait essentiellement des syndicats d’éleveurs par département, en Vendée et Poitou-Charentes. C’est à partir 1992 qu’un de ces éleveurs, Monsieur Priouzeau, a proposé de rassembler tout le monde autour de la défense et de la promotion de nos trois races, et une première association a vu le jour en 1994 suite à cette initiative. L’étape suivante a été la création, en 2000, d’une « Unité de sélection et de Promotion des RAces » – une UPRA – qui a permis d’élargir l’association à d’autres acteurs de la filière : les utilisateurs, les institutions, les organismes chargés de la conservation des ressources génétiques, etc. Enfin, en 2010, cette association élargie a pris le nom d’Association Nationale des Races Mulassières du Poitou, qui a ensuite obtenue en 2018 l’agrément d’« Organisme de sélection » par le Ministère de l’Agriculture, et est également reconnue d’intérêt général.

Comment fonctionne-t-elle et quelles sont ses missions ?
Principalement, sauvegarder, développer et promouvoir les races mulassières poitevines. L’association compte environ trois cent cinquante adhérents : éleveurs, utilisateurs, sympathisants… en France bien entendu, mais également en Angleterre, en Allemagne, en Suisse, en Lettonie… Le Conseil d’administration de l’association compte trois collèges et nous nous réunissons tous les mois et demi environ. Nous comptons également deux salariées, qui font vivre à plein temps notre association, entretiennent le contact entre les membres, etc. Parmi nos tâches principales, nous proposons par exemple des aides à la vente, par la mise en relation avec des éleveurs ; nous définissons des plans d’accouplement, pour assurer une diversité génétique et éviter la consanguinité ; enfin, nous promouvons la race en participant à des salons et des concours.

Ce sont les temps forts de votre association ?
Oui. Les concours locaux dans chaque département permettent de repérer et de sélectionner les animaux pour participer ensuite à des concours nationaux. Chaque année, nous y amenons près d’une centaine de chevaux, baudets et mules. Nous participons également au Salon de l’agriculture, ainsi qu’à des concours d’utilisateurs, avec des épreuves d’attelage, de maniabilité, etc. Sur ce point, je constate d’ailleurs un vrai regain d’intérêt pour l’emploi des chevaux, et notamment de nos races de trait. Nous recevons un nombre croissant de demandes pour des projets associant nos chevaux, pour de l’attelage, des loisirs, l’exploitation de vignes. C’est un mouvement très sensible, que nous encourageons.

Personnellement, dans votre carrière d’éleveur, y a-t-il un souvenir, une émotion, qui vous tient particulièrement à cœur ?

Les naissances sont toujours des moments à part dans le métier d’éleveur et je peux dire que j’ai assisté à toutes les naissances de mon élevage. Mais il y en a une qui m’est particulièrement chère : c’était en 1982, je n’avais alors pas de cheval qui m’appartenait en propre. Une pouliche de mon père allait mettre bas et juste avant la naissance, il m’a dit « Si c’est une pouliche, je te la donne. » Et ce don a marqué le début de ma carrière d’éleveur. Je peux dire que mon père m’a transmis ainsi le flambeau, c’est un moment marquant de mon existence.

Et en tant que président de l’ANRMP, y a-t-il un moment dont vous êtes fier ?

Je vous en citerai deux. Le premier souvenir est la participation de notre association, en 1997, à la « Route du Poisson ». Il faut savoir qu’avant le développement du transport routier tel qu’on le connaît maintenant, c’était des chevaux qui assuraient le ravitaillement de Paris en poisson. De Boulogne à Paris, des attelages se relayaient afin d’amener la pêche la plus fraîche possible. Cela s’est évidemment perdu mais des passionnés avaient organisé au début des années 90 une reconstitution de cette fameuse « Route du poisson » où concouraient des chevaux de toutes origines… dont deux de nos mules ! J’étais assez fier de la présence de nos chevaux, et de la reconnaissance de leurs qualités. Cette Route du poisson s’est arrêtée mais devrait revoir le jour en 2021. J’ai bon espoir que notre association puisse aligner une équipe complète, c’est-à-dire douze paires de chevaux ! Notre présence ne sera alors pas que symbolique.
Le second souvenir, qui concerne plus spécifiquement la vie interne de notre association, je peux dire que ça a été la création de l’UPRA en 2000, qui a vraiment contribué à structurer toute notre filière et à fédérer tous les acteurs. C’était loin d’être évident, mais par cette création, c’est tout notre travail commun de préservation des races mulassières qui s’est trouvé renforcé. On parle beaucoup de biodiversité en ce moment et, pour moi, ce travail de conservation et de promotion des races locales, dans leurs spécificités, s’inscrit pleinement dans ces enjeux. Donc oui, c’est quelque chose dont nous pouvons être fiers.

 

Merci Thierry, et longue vie à l’ANRMP !

 

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